lundi, février 05, 2018




Miracle du livre   

et de l’informatique


Dieu parle toutes les langues

chacun écrit la sienne


L’ordinateur rapproche
mélange
brouille les pistes


Et nous voici à l’aube d’un autre millénaire 

qui se moque des distances 

et se nourrit de tous les héritages



*






Qui pourra donc me blâmer ou s’irriter 
contre moi

si le temps accordé par les autres pour la célébration
des fêtes et des jeux


pour leurs plaisirs

pour le repos de l’âme et du corps

le temps que d’autres perdent 
dans de longs repas

aux jeux de hasard

à la paume

moi

je le consacre à m’entretenir dans mes études
littéraires

Cicéron





































Sorcières

Filet de serpent des marais   dans
le chaudron cuit et bout

Œil de salamandre et doigt
de grenouille








Poil de chauve-souris et langue
de chien

Fourche de vipère  dard 
de ver-aveugle

Jambe de lézard et aile de chouette
Pour le charme de pire trouble






Bouillon d'enfer bous et bous

Écaille de dragon avec la dent de loup

Momie de sorcellerie  

Estomac œsophage de glouton requin dans la mer salée 

Racine de ciguë cueillie dans l'obscurité

Foie de juif blasphémateur 

Bile de chèvre

Branche d'if cassées sous l'éclipse de lune

Nez de turc  

Lèvre tartare  

Doigt de bébé ...


W.S. Macbeth

1606








































Living

in the deep woods 

is no escape












The trees

become mirrors and only 

your voice answers 

back








Anne Sexton
from a letter to Fred Morgan 
1959

Anne Sexton 
A Self-Portrait in Letters



































53

Sur ce corps vêtu
d'une robe monacale
puis-je en souvenir
de ce que fut mon passé
jeté ces manches fleuries

écrivit-elle


nous autres
en ces lieux écartés
nous avons depuis longtemps
perdu le souvenir des accords de couleur















une goutte

tomba sur le pommier

une autre sur le toit

son âme   ce matin-là  était son amie








Dans le silence d'une nuit 
pluvieuse

il se trouvait au palais de 
l'Impératrice





































On dit 

qu'à Cyllène en Arcadie  et nulle part 

ailleurs

les merles sont blancs













qu'ils émettent des sons aux nombreuses

nuances

et 

qu'ils volent en direction 

de la lune










Si quelqu'un les rencontre

dans la journée

il parvient difficilement à les

capturer



*



Récit

Présentation 

orale ou écrite

d'événements 

réels ou imaginaires


Action de rapporter des événements


Récits Merveilleux


































Le diamètre de l'Aleph

devait être de deux ou trois centimètres

mais l'espace cosmique était là

sans diminution 

de volume






je vis une petite sphère aux couleurs
chatoyantes

qui répandait un éclat presque
insuportable

Je crus au début qu'elle tournait
puis

je compris que ce mouvement était
une illusion

produite par les spectacles vertigineux 
qu'elle renfermait




































Daniil Harms


Le 30 décembre 1905 
le 17 selon l’ancien calendrier, 
jour de la fête du prophète Daniel, 
Daniil Ivanovitch Iouvatchov naît à Saint-Pétersbourg 
où il passera, excepté le séjour forcé à Koursk, toute sa vie. 










Son père, Ivan Pavlovitch, officier de marine dans sa jeunesse, membre de l’organisation « terroriste » La Volonté du peuple, fut condamné au bagne à perpétuité en 1883. Au retour il était devenu profondément croyant, s’était fait adepte des idées de Tolstoï et s’était mis à écrire des ouvrages religieux sous le pseudonyme de Mirolioubov (paix-amour). Sa mère, Nadejda Kolioubakina, dirigeait un refuge pour anciennes détenues.

Dès l’année 1915, il étudie à la Peterschule (école allemande) – Harms parlait parfaitement allemand et assez bien anglais. Il poursuit ses études à l’école de Detskoïe Selo (l’ancien Tsarskoïe) dont sa tante maternelle, Natalia Ivanovna Kolioubakina, était directrice.

À partir de 1924, il fréquente une école technique qu’il abandonne vite. Dès cette année-là, il prend pour pseudonyme Harms mais se fait aussi appeler Hharms, Hhaarms, Dandan, Charms, Carl Ivanovitch Schusterling et a, dit-il, le don « d’allumer le malheur autour de lui ». Il fait alors la connaissance d’Esther Roussakova qui va devenir sa première femme.

En 1925, il entre dans le groupe de Toufanov, correcteur typographe excentrique, poète des allitérations, de la poésie sans mots, du zaoum’ (le langage transmental de Khlebnikov et Kroutchonykh). Toufanov se faisait appeler Vélimir II, Président du globe terrestre du transmental, marquant ainsi son ascendance littéraire khlebnikovienne. C’est au sein de l’ordre des transmentalistes (DSO) que Harms fait la connaissance de Vvédenski. Leurs destins resteront étroi-tement liés jusqu’à la fin.

En 1926, le groupe devient Le Front gauche. Tous deux le quitteront très vite pour former avec les philosophes Drouskine et Lipavski le groupe des Tchinari (« gradiants »). Ils entrent à l’Union des poètes la même année et verront là, en 1926 et 1927, les deux seules publications de leur vivant. Dans le cadre du projet théâtral Radix, ils ont des contacts suivis avec Malévitch qui dirige l’Institut de la culture artistique (le Guinkhouk). Mais cette amorce de relation est sans lendemain car l’institut est contraint de fermer brusquement ses portes.

Harms travaille alors une forme très « libre » inspirée des scansions de la poésie populaire, avec sa non-linéarité, ses coq-à-l’âne, ses lapsus. Il élabore tout un système de déformation des mots et de dérapages.

La première riposte a lieu dès mars 1927, au lendemain d’une soirée où l’apostrophe de Harms « Je ne lis pas dans les écuries et les bordels ! » est interprétée comme une injure envers les établissements soviétiques d’enseignement supérieur. À l’automne, Vvédenski, Bakhtérev et Zabolotski fondent l’éphémère Obériou (Société pour l’art réel), considérée comme la dernière manifestation des « modernes ». 1928 voit la publication de la Déclaration Obériou, texte manifeste qui, en même temps qu’il regrette que le premier État prolétarien ne tienne pas compte de l’art de gauche (Filonov, Malévitch), se pense dans l’art « révolutionnaire » de gauche. « L’Obériou taraude la moelle du mot » et se propose d’examiner « le heurt des significations ». Les obérioutes se réclament du réel : il s’agit, « par le mouvement du travail de la main de sentir le monde, de débarrasser l’objet des détritus des cultures putréfiées du passé ».

Le 24 janvier 1928, les obérioutes donnent « Trois heures de gauche » avec lecture de vers, projection d’un film, et mise en scène de la pièce de Harms élisabeth Bam qualifiée le lendemain dans le Journal rouge de « chaos incompréhensible ». Un article de Nilytch dans La Relève va définitivement clouer les obérioutes au pilori : voyous littéraires, poésie absurde, jonglerie transmentale, protestation contre la dictature du prolétariat. C’est une poésie contre-révolutionnaire, une poésie de l’ennemi de classe.
Effet positif de la soirée : Samuel Marchak, qui dirige les éditions pour enfants, invite les obérioutes à collaborer à la revue Le Hérisson dont Oléïnikov est rédacteur.

Fin 1931, on ferme les rédactions des revues pour enfants Le Hérisson et Le Serin (le gagne-pain de Harms). Harms et Vvédenski sont arrêtés et relégués à Koursk qu’ils quitteront à l’automne 1932.
C’est le début des temps obscurs : Harms, Vvédenski, Lipavski, Drouskine, Zabolotski, Oléïnikov se réunissent habituellement le dimanche, ils forment Le Cercle des savants peu savants. On est passé de la « société » au « cercle » : resserrement progressif emblématique de la vie et de l’œuvre de Harms qui s’achèvera autour de la flamme d’une bougie de plus en plus faible.

Car il est frappant de voir combien la poésie, prépondérante avant 1932, se raréfie ensuite au même rythme que l’air vital, puis se limite à la prose, essentiellement sous la forme du récit, c’est-à-dire de l’accident, de ce qu’il advient de fortuit. Prose aussi aléatoire que les coups portés par une société guidée par la pulsion de mort, le récit éclaire un temps et un espace clos sur lequel pèse une menace inexorable.

À partir de La Vieille (mai-juin 1939), Harms n’écrit plus que de la prose.
Avec les prodromes de la guerre, puis les premiers bombardements, il sent venir sa fin catastrophique : « La première bombe allemande tombera sur moi. »

En août 1941, à quelques jours d’écart, Vvédenski (à Kharkov) et Harms sont arrêtés.
Accusé de « propos défaitistes », menacé de la peine capitale, Harms aurait simulé la folie et serait mort de faim ou du traitement subi à l’hôpital psychiatrique de la prison le 2 février 1942. Sa femme Marina Malitch n’apprendra sa mort que le 4. C’est elle qui, avec Drouskine, sauvera les manuscrits que ce dernier conservera précieusement jusqu’à nos jours.

Longtemps restée dans l’ombre, l’œuvre de Harms ne commencera à être publiée que dans les années soixante grâce à ses textes pour enfants. Le premier recueil de l’œuvre « adulte » ne paraît qu’en 1988.










































Deux  Février

le Bersend - le Revers - les Îles - les Cernix 

les Villes dessous -  les Combelles - les Granges

les Villes dessus -  le Pêchard - le Plan - les Outards

les Cours - Beaufort

*





j'ai oublié ce dont je veux parler

j'efface les traces

On peut voir cela

Il faut simplement répondre

la certitude ne peut s'acquérir

mort de Daniil Harms


































TEL QUEL

L’arc alpin 
se situe nettement 
au sud d’un talweg d’altitude 
qui s’étend de l’est de la Baltique 
à la Bretagne et canalise un afflux d’air 

POLAIRE

plutôt sec par l’est 
sur le nord de la France

































Je voyais des pierres  érigées

une lueur jaune

Pas de quoi se plaindre

rien de plus à obtenir : en vérité :

on ne peut plus

c'est assez

5 février mort de Marianne Moore

*















Le terme poésie est aujourd'hui tombé en
désuétude, entaché de bibelots sonores et de
casseroles dans sa queue de caniche, d'acadé-
mies endeuillées, de mots croisés, de scrabble
pour retraités de l'inconnu et de l'infini.

Ce qu'on cherche à travers un poème, c'est
une façon de vivre en accueillant la vie de
l'autre en nous et de réaliser ensemble une
nouvelle histoire de l'amour et de la pensée.
Nous ne récitons pas des poésies, nous citons

la « poévie ».