lundi, mars 05, 2018






Invocation à Joyce de Jorge Luis Borges 

Épars dans des capitales éparses

solitaires et nombreux

nous jouions à être le premier Adam

qui donna leur nom aux choses













Sur les vastes pentes de la nuit
qui touchent à l'aurore
nous cherchions  je m'en souviens toujours les mots
de la lune  de la mort  du matin
et des autres coutumes de l'homme

Nous fûmes l'imagisme  le cubisme
les conventicules et les sectes
que vénèrent les crédules universités

Nous proscrivîmes les majuscules
nous inventâmes les vers imponctués
et les strophes en forme de pigeon
des bibliothécaires d'Alexandrie

Cendre que le labeur de nos mains
et feu ardent que notre foi

Toi  entre-temps
dans les villes de l'exil
dans cet exil qui fut
ton instrument exécré et choisi
l'âme de ton art
tu dressais tes ardus labyrinthes
infinitésimaux et infinis
admirablement mesquins
plus populeux que l'histoire

Nous serons morts sans avoir aperçu
la bête biforme ou la rose
qui sont le centre de ton dédale
mais la mémoire a ses talismans
ses échos de Virgile
et c'est ainsi que dans les rues de la nuit persistent
tes splendides enfers
tant de tes cadences et de tes métaphores
les ors de ton ombre

Qu'importe notre lâcheté s'il y a sur la terre
un seul brave
qu'importe la tristesse s'il y a eu dans le temps
quelqu'un qui s'est dit heureux
qu'importe ma génération perdue
ce vague miroir
si tes livres la justifient

Je suis les autres

Je suis tous ceux
qu'a rachetés ta rigueur obstinée

Je suis ceux que tu ne connais pas et que tu sauves

trad. Ibarra in L'or des tigres - Gallimard - Du monde entier































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