mercredi, juin 01, 2016

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Pascal
Les trois ordres 























La distance infinie 
des corps aux esprits figure 
la distance infiniment plus infinie des
esprits à la charité car elle est surnaturelle.

Tout l'éclat des grandeurs 
n'a point de lustre pour les gens 
qui sont dans les recherches de l'esprit.

La grandeur des gens d'esprit 
est invisible aux rois, 
aux riches,
aux capitaines, 
à tous
ces grands de chair.


La grandeur de la sagesse, 
qui n'est nulle sinon de Dieu, 
est invisible aux charnels et
aux gens d'esprit. 


Ce sont 
trois ordres différant 
de genre.

Les grands génies ont leur empire,
leur éclat, 
leur grandeur, 
leur victoire, 
leur lustre et
n'ont nul besoin de grandeurs charnelles, 
où elles n'ont pas de rapport. 

Ils sont vus non
des yeux, 
mais des esprits, 
c'est assez.

Les saints ont leur empire, 
leur éclat, 
leur victoire, 
leur lustre et n'ont nul besoin de
grandeurs charnelles ou spirituelles, 
où elles n'ont nul rapport, 
car elles n'y ajoutent ni
ôtent. 

Ils sont vus de Dieu et des anges, 
et non des corps ni des esprits curieux : 

Dieu
leur suffit.

Archimède, 
sans éclat, 
serait en même vénération. 

Il n'a pas 
donné de batailles pour les yeux, 
mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. 

Oh ! qu'il a éclaté aux esprits !

Jésus-Christ, 
sans biens et sans aucune production 
au dehors de science, 
est dans son ordre de sainteté. 

Il n'a point donné d'invention, 
il n'a point régné ; mais il a été
humble, 
patient,
saint,
saint à Dieu,
terrible aux démons, 
sans aucun péché. 

Oh ! qu'il
est venu en grande pompe 
et en une prodigieuse magnificence, 
aux yeux du cœur, 
qui voient la sagesse !

Il eût été inutile à Archimède 
de faire le prince dans ses livres de géométrie, 
quoiqu'il le fût.

Il eût été inutile à Notre Seigneur Jésus-Christ, 
pour éclater dans son règne de
sainteté, 
de venir en roi ; 
mais il y est bien venu dans l'éclat de son ordre !

Il est bien ridicule 
de se scandaliser de la bassesse de Jésus-Christ, 
comme si cette
bassesse était du même ordre, 
duquel est la grandeur qu'il venait faire paraître. 

Qu'on considère cette grandeur-là 
dans sa vie, 
dans sa passion, 
dans son obscurité, 
dans sa mort, 
dans l'élection des siens, 
dans leur abandonnement, 
dans sa secrète résurrection,
et dans le reste, 
on la verra si grande, 
qu'on n'aura pas sujet de se scandaliser d'une
bassesse qui n'y est pas.

Mais il y en a 
qui ne peuvent admirer 
que les grandeurs charnelles, 
comme s'il n'y en
avait pas de spirituelles ; 
et d'autres qui n'admirent que les spirituelles, 
comme s'il n'y en avait pas d'infiniment 
plus hautes dans la sagesse.

Tous les corps,
le firmament, 
les étoiles, 
la terre et ses royaumes, 
ne valent pas le moindre des esprits ; 
car il connaît tout cela, 
et soi ; 
et les corps, 
rien.

Tous les corps ensemble, 
et tous les esprits ensemble, 
et toutes leurs productions,
ne valent pas le moindre mouvement de charité. 
Cela est d'un ordre infiniment plus élevé.

De tous les corps ensemble, 
on ne saurait en faire réussir une petite pensée : 
cela est impossible, 
et d'un autre ordre.

De tous les corps et esprits, 
on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité, 
cela est impossible, 
d'un autre ordre, 
surnaturel.



Pascal, 
Pensées, n° 72 et n° 793 
dans l'éd. Brunschvicg




























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