mardi, février 23, 2016

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Fenêtres d’appartement, 
















d’hôtel, de restaurant, de gare, d’ordinateur ou de téléviseur (cette autre fenêtre "qui contient toutes les fenêtres"), pare-brise, fenêtre de son lieu de travail, de la maison le matin quand on ouvre les volets, vitre du métro, du train, quand on regarde filer à vive allure le paysage distrait, autant d’images qui viennent du dehors, qui nous impressionnent. Les fenêtres cadrent un état du monde. Restituer par le biais de phrases concises, impressions détachées, fragment autobiographique, réflexion esthétique ou philosophique, sur des lieux dont le trait commun est leur banalité, le regard que l’on porte sur le monde. 







Les lieux de résidence


Pourquoi les lieux sans qualité viennent-ils toujours à bout des réticences de ceux qui les occupent ? Pourquoi les résidents refusent-ils souvent de reconnaître leur laideur quand les passants occasionnels n'ont aucune peine à l'admettre ? C'est qu'à la longue, les lieux de résidence et leurs environs (quels qu'ils soient) finissent toujours par impressionner la conscience de l'habitant, par devenir comme un autre soi-même, des sortes de corps extérieurs dans lesquels on s'est réalisé jour après jour, où l'on a joué son existence (raison pour laquelle on retrouve souvent avec émotion les anciens lieux de ses souffrances ou de ses bonheurs)... Il y a aussi que nous ne nous installons jamais innocemment quelque part. Les lieux nous habitent autant que nous les habitons, nous les supportons comme les corps qui envahissent les trottoirs à heures fixes, les couleurs, la pluie qui tombe, les mouvements, les pollutions, les objets environnants, les chats, les chiens... Et notre vue se laisse plus facilement corrompre qu'elle est porteuse, sans que nous en ayons forcément conscience, d'une masse d'informations anciennes, de sensations fugitives, de bonheurs éphémères, de souvenirs... Chaque regard porté sur le paysage intègre les traces de l'existence passée. Nous voyons bien plus que ce que le présent du réel nous donne. Et le poids de cette réalité invisible pèse sur notre conscience comme le désert pèse sur le regard du bédouin, la neige sur celui de l'Esquimau...



Raymond Bozier, Fenêtres sur le monde, Fayard, 2004, pages 116-117. Passage recopié(par Anne Savelli) dans la loge-bureau de la Bellevilloise, devant la fenêtre embuée où l'on distingue l'église Notre-Dame de la Croix et, derrière une antenne de télévision, presque aussi mince, la tour Eiffel


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