samedi, novembre 28, 2015

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Vannina Maestri 

sur la façon 
dont elle construit ses textes 
















Pour moi le texte est objet littéraire plastique :  
il faudrait zoomer, cliquer, zapper sur le texte.  
Le réel ne s’arrête jamais,  
il n’y a pas de raison pour que le texte soit statique. 








Voici une petite tentative d’explicitation générale - ou comment je construis mes textes - ou pourquoi accumuler et coller des fragments. 

Quand on me lit ou quand on m’écoute on a l’impression de suivre une narration surchargée d’éléments divers. Ces éléments variés semblent vouloir interroger le sens et se heurtent quelquefois à une limite brutale, un « cut ». Mes textes sont composés de fragments et je pense que le lecteur ne peut en général accepter ce qu’il lui semble être un chaos. Il essaye donc de recréer une narration, d’attraper ici ou là un sens avec un sujet, avec des éléments reconnaissables. Mon but est de demander au lecteur ou à l’auditeur d’organiser ce qu’il lit ou entend. 

Mon premier texte Débris d’endroits en 1999 commençait par les mots « à feuilleter ». je demande en effet une lecture active et non passive : composer les pages comme on le désire, commencer par la fin du texte etc. Je demande que l’on se confronte aux paradoxes, aux phénomènes, à un apparent illogisme à l’œuvre. Mais comment discerner, si les énoncés sont trop abrupts, quelles sont les relations qui se créent ?  

On ne reconnaît plus rien. On peut penser qu’il s’agit d’un délire. Si le lecteur accepte de dériver, de jouer avec les fragments, d’aller vers de nouveaux territoires comme je le lui demande, il va alors vers une surprise du texte à inventer. C’est une action qui impose un dialogue et une écoute multiples. Ma démarche est de donner à voir toutes les possibilités d’invention d’un texte. J’emprunte les sujets, j’effectue des superpositions, des télescopages. 

J’essaie de réaliser des transparences d’objets. J’utilise les ensembles de mots, de descriptions diverses mais fragmentés de manière abstraite, comme un peintre qui renvoie des couleurs et des formes sur la toile les unes vers les autres, le regard organisant l’ensemble. Le propre du langage est d’être très fortement référencé. Je ne peux par exemple faire semblant de lire  « Le dit du Genji » écrit au Japon au XIème siècle : il me faut un appareil de notes. 

Donc j’interroge sans cesse par mon montage, la fonction relative d’une certaine histoire, d’une pratique culturelle de la langue. J’utilise les textes d’une époque, dans un contexte donné. Aujourd’hui j’utilise des singularités qui ont entre elles des rapports définis. Je les interroge et les fais jouer. Les événements s’autorisent des rapprochements inattendus, ça parle de partout et de nulle part. J’essaie d’atteindre avec le montage d’éléments divers à une certaine vitesse de mouvements d’intensités des références habituelles de la langue. 

Accélérer les phrases, les mots, les perceptions, les images. Les possibilités fonctionnelles, fictionnelles et intellectuelles de mes propositions sont battues comme des cartes de jeu et deviennent peut-être enfin narratives. Elles racontent, déroulent quelque chose ici et maintenant. La forme apparemment achevée est en réalité en mouvement. Je me demande : a-t-on besoin de significations ? Selon moi c’est la forme elle-même qui est la signification réelle : elle est le renversement, l’énergie, la vitesse, la manipulation. 

Ce que je dis dans mes textes depuis le début c’est : quoi qu’on fasse il y a trace. Même si je fabrique un texte comme une crise dont la fin semble inimaginable.  

La page est un plan, une carte, sur ce plan ou carte je projette des textes-images et ce qui importe c’est le mouvement, c’est ce qu’il y a entre. Entre les propositions. Ce qui emporte c’est le montage. Ce que je tente de réaliser c’est non pas un sujet qui commande la phrase et la hiérarchise - la phrase est la carte, le plan, la société - je propose un ordre ou un désordre à renouveler, à composer. 

Cependant je ne peux empêcher de faire se succéder malgré les déconstructions et le nomadisme, l’installation d’un ordonnancement poétique, textuel. Cette mise en place ou continuité est montrée comme un réseau. Les relations de situations, de petites singularités s’entremêlent. Les zones de textes sont des réécritures, des vols de textes existants, écrits par moi ou par d’autres - peu importe. Cette réalité textuelle joue avec les boucles narratives. Car le but est que le texte soit multiple, qu’il ne soit jamais là où on l’attend. Il y a simultanéité des situations, chevauchement des messages, faits divers, publicité, politique, séries TV…On se dit qui parle, pour qui et à la place de qui. 

Donc qu’est-ce que la fragmentation ? Le travail sur le fragment. Ce sont des découpages de divers moments et une pluralité vive des sensations qui se croisent, s’interpellent. Ne pas construire un texte où régnerait l’ordre mais jouer avec le désordre. Il me semble que c’est dans le détourné, les virages, les ellipses, dans les tremblés que l’on arrive peut-être à une plus grande précision, que l’on arrive peut-être à dire une époque troublée, plurielle, sans idéologie, multi culturelle. 

Comment concrètement rendre visible un paysage textuel divisé. Dans une page le passé et le présent du texte se manifestent en même temps. Par exemple l’étymologie d’un mot, son épaisseur historique, son rapport à la mode encore en mémoire et son utilisation actuelle dans un cut up dont la signification est saisie en un instant. Petit à petit le texte vieillit il faut ajouter des notes, des strates de significations. Il y a un sur-texte qui s’accumule. 

J’essaie de faire tenir ensemble des hétérogènes, une matière en mouvement avec des variations continues et à toute vitesse. Car je réutilise aussi les idées et les images perdues. A l’arrivée le texte est constitué de techniques diverses, de couleurs, d’espaces et de temps. Il est adéquation avec le réel, prise en compte du réel, tentative de document, mais sans aucune illusion, sans utopie, peut-être simplement du langage. C’est un imaginaire à explorer. Un jour c’est tel élément qui prendra de l’importance, un autre jour un autre élément. Tout texte est inachevé, est en cours, flotte entre plusieurs états. 

Pour moi le texte est objet littéraire plastique : il faudrait zoomer, cliquer, zapper sur le texte. Le réel ne s’arrête jamais, il n’y a pas de raison pour que le texte soit statique. 

De nouvelles propositions 
vont imposer au texte une dynamique nouvelle. 

Les inscriptions vont insérer dans le flux de paroles des gestes nouveaux. 
Nous enregistrons des milliers d’images et des milliers de mots : cette impermanence doit pour moi pouvoir s’inscrire dans l’écriture. 


Vannina Maestri,  avril 2010 































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vendredi, novembre 27, 2015

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le temps doit décider












vibrer dans son étendue


c'est le site du lieu

surface

aire

un jeu permanent avec l'espace



la terre s'habille

de lumière naturelle


si tu connais la raison

ne bouge pas


si tu ne la connais pas

essaie de trouver




au sol sous elle et à côté d'elle

les grains de sable s'envolent

pour former un tourbillon

qui s'amplifie



la terre craquelle 

et se soulève légèrement

en de multiples endroits


laissant apparaître 

de nombreuses petites pointes vertes




au rouge

à l'orange

au jaune et au vert

qui illuminent le sol

s'ajoute du rose

qui jaillit entre ses seins






























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A book on the Katsura Palace





L’utilisation 
de l’infinitif répétée



donne 
à certaines séquences 
un caractère de mot d’ordre 
qui serait toutefois non définitif






ouvrir 
une direction

ne pas être ici
en quête d'une issue

questionner seulement

croire 
en ce fragment

procéder
avec son moi oublieux

parcourir la poésie

être 
un chemin insolite

étrange

abandonner
celui qui ne conserve pas
mémoire



chercher un dégagement











































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enveloppe














écorce   cérébral

frontal

occipital

pariétal

auditif    visuel



C O R T E X




nous avons 
développé une nouvelle 
approche 


imaginons
le ciel couvrant
tel un bol renversé

notre tête


notre perception
de l'énergie sera différente

les codes changent





il sentait la tension monter

elle faisait mine de ne rien voir




note rapide


ne pas 
oublier l'évidence 



W

C'est un 
coup du sort étrange 

tous les hommes
dont on a ouvert le crâne

avaient un cerveau 








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des sens












de la vue 
de l'ouïe 
du toucher

les illusions du rêve

d'un cauchemar


une illusion de fraîcheur 



de légèreté
de profondeur 
de relief 


les illusions de la perspective




Si la réponse 
aux exigences du présent

fléchit 
ou se fait attendre

c'est alors 
que se forme 
en pellicule de l'actuel



l'illusion 

du              déjà vu 

déjà vécu 

un sentiment 

de non-présence 



à sa limite 
morbide il aboutit 
aux sentiments d'irréalité

de vide

de négation de soi 





Là comme ailleurs 
il est possible que nous soyons
l'objet d'une vaste illusion

cette illusion toute puissante
que les Hindous appellent Maya 
et dont certains pensent qu'elle est 

la récréation des dieux 



Il n'y a de vérité 

ni d'absolu 
que dans l'invisible



Il faudra

si on n'a pas obtenu
et conquis                  le nirvana

revenir de nouveau
dans le monde et être encore




la proie de
l'illusion




















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jeudi, novembre 26, 2015

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j'aimerais

vous offrir ce bout de fil


















objet légendaire

de la Mythologie Grecque


d'un système de navigation



pour retrouver

son point de départ

en milieu

trouble ou confiné






































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couloir 
dépressionnaire
















de la 
Mer de 
Norvège à la 

Méditerranée 





tempête 
de neige et vent violant

le spectacle est enivrant

il fait
chanceler la raison





le vieux 
prunier reste inflexible

la tourmente
ne l'affecte en rien



voyageur du temps

soyez prunier
attendez les beaux jours

et puis quoi ?

Rien


c'est à l'instant présent
que la totalité des espaces humains
et célestes s'éveillent









Photographies Maxime Daviron

Terres Perdues



























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Approfondir
le contenu du savoir


















dans la lecture



brumes entremêlées
qui se lèvent depuis les feuilles

tombées à terre
après le tourbillon




la corniche existante
est devenue un élément

ondulé survolant
le côté air pour évoquer

une aile d'oiseau


l'impossible

vif-éternel



Etre 
vaut mieux que ne pas
Etre

Etre vivant




écrire et lire

observer 
les choses accomplir leur 
destin






























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le silence
se fit entre eux

















ils arrivèrent
à une très grande rivière

certains traits 
de la nature sont simples


sur la rive
au frais des émotions

apaisées





Photographie Samalive































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... une déambulation mentale












à travers un dispositif textuel
où aucune des rumeurs de ce monde,
aussi infime soit-elle,
ne vous sera épargnée...





Avec Mobiles 2, nous avançons dans un espace où des fragments d’énoncés, prélevés d’un quotidien saturé d’écritures affirmatives et prescriptives, se frottent et se côtoient, se rejettent ou s’attirent. Ces multiples confrontations recréent le brouhaha du monde. Mobiles 2 est construit comme une véritable installation textuelle (au sens plastique du terme), et l’appréhension de ces textes nous invite à une déambulation mentale qui équivaut à une expérience physique de la lecture.
































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mercredi, novembre 25, 2015

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25.11.2015

23 : 44















invisible

pleine lune pendue

au ciel



























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Liam Stevens




























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il me semblait 
qu’un nuage nous couvrait, 
















brillant épais dense et polis, 
comme un diamant frappé par le soleil, 

à l’intérieur de soi 
cette perle éternelle nous reçut 

comme l’eau reçoit
un rayon de lumière en restant close 



Dante – Paradis



la vision mystique 
du Paradis par Dante et Béatrice 



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le paradis ultime est 

ici et maintenant


la Lumière Infinie est 

ici et maintenant.




























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Voilà la Cité sainte, assise à l’occident !












Envie de relire



On dira ce qu’on veut, tout se passe quand même à Paris, et le plus souvent dans l’ombre. Rimbaud, en mai 1871, après la guerre franco-prussienne, appelle Paris « Cité sainte, assise à l’occident ». Il la trouve infectée par des cœurs de saleté, des bouches épouvantables de puanteurs, des « hargneux pourris », mais prédit que « la putain Paris » saura se débarrasser de tous les fous, les pantins et les ventriloques qui l’occupent. L’orage, dit-il, a sacré cette « Cité choisie » comme suprême poésie. Elle est maintenant douloureuse, cette Cité, elle est quasi morte, mais elle garde sa tête et ses seins « jetés vers l’Avenir ». C’est la ville que « le Passé sombre pour­rait bénir ».

Paris se célèbre, bouillonne, s’insurge, retombe, meurt, s’insurge à nouveau, et remeurt. En ce moment, la ville est de nouveau quasi morte, elle est dominée par l’imposture et l’affairisme, c’est déjà arrivé, le désespoir a pu en emporter certains. Et pourtant :

« À nous ! romanesques amis : ça va nous plaire, 
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux ! »

Qu’est-ce qu’avoir de « romanesques amis » ? Nous ne buvons plus « l’absinthe aux verts piliers », soit, mais nous ne travaillons toujours pas, et si nous sommes 12, ce sera plus qu’il n’en faut pour chanter selon des voix angéliques, « pas du tout publiques », qui sont aussi de « multiples sœurs ».
Paris a été, est, et sera. Les voyageurs du temps s’en occupent. Tout a l’air tranquille, surveillé, verrouillé, mais voici, à l’instant, une salubre rafale de vent dans les arbres. La rose a son pourquoi, elle attend d’être vue. Elle fleurit, là, devant moi, au-dessus de la haie très verte. 




Les Voyageurs du Temps
Philippe Sollers

pages 127-128 
collection blanche Gallimard



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Ô lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares !
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu’un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité sainte, assise à l’occident !

Rimbaud

l'orgie parisienne ou Paris se repeuple


























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