mercredi, mars 18, 2015

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L’écriture 












n’est pas, 
selon la pensée juive, 
une fonction humaine : 

elle fonde l’humanité.


La littérature n’est pas 
une activité, 
un art, 
une profession 
ni un loisir,
mais elle engage 
le réel 
en une vaste trame romanesque 
à décrypter indéfiniment, 
qui se nomme 
la Bible.


À rebours 
de la formule de Lacan : 
« à l’être succède la lettre », 
voici 
l’enseignement majeur 
du judaïsme : 
c’est la lettre qui précède l’être ; 
Dieu, 
avant que de rugir, 
d’illuminer ou de sculpter, 
bien avant de châtier, 
d’élire, 
de jalouser 
ou de disperser, 
Dieu avant même de créer 
écrivit.


La tâche primordiale de l’élu 
sera dès lors de lire, 
d’étudier, 
de gloser, 
de transmettre, 
d’écrire aussi bien sûr, 
maniant telle une étoffe
 – à coups de
césures et de sutures – 
la matière intense, 
délicate, 
pulsatile, 
chatoyante et
jouissive des versets, 
floculations compactes de dire 
engendrant la pensée
aussitôt entrelacés.


Les Docteurs du Talmud 
ont ainsi édifié une prodigieuse 
rhapsodie de lections, 
lectures disloquées et couturées de l’Écriture, 
tout entière réenchevêtrée 
en un patchwork mobile, 
éternellement autre. 

Le texte à peine surgi, 
se joue donc la question de son altération 
puisque c’est toujours d’une
lettre l’autre que se trame l’écrit.

S’engage alors 
le processus infini de l’impureté, 
du mélange, 
de la souillure et du péché, 
en un mot de l’immonde.


La faute originelle, 
fiction vraie du Texte qui l’invente, 
déclenche – outre
le mal, 
l’imprécation et le châtiment – le désir, 
la beauté, 
le discernement, 
la rédemption, 
et la pudeur, 
car dès qu’il se sait nu 
l’homme se veut vêtir, 
revenant de la sorte à la pure texture 
d’un tracé qui le contamine.

Stéphane Zagdanski

ici





























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