dimanche, décembre 21, 2014

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Elizabeth Bishop








Invitation à 
Miss Marianne Moore




















De Brooklyn, 

au-dessus du pont
de Brooklyn, 
par cette belle 
matinée,
venez

à tire-d’aile.
Dans une nuée 

d’ardentes 
substances 
pâles,
venez 

à tire-d’aile,
au rythme du rapide 

roulement de 
milliers de petits 
tambours 
bleus
descendant 

du ciel 
pommelé
sur l’estrade 

miroitante 
de l’eau 
du bassin,
venez 

à tire-d’aile.

Sifflets, 

enseignes 
et fumée jaillissent. 
Les navires
agitent 

en signaux 
cordiaux 
des multitudes 
de pavillons
ondoyant 

comme des oiseaux 
partout au-dessus 
du port.
Entrez : 

deux fleuves, 
portant avec grâce
d’innombrables 

petites 
gelées pellucides
dans des sur 

touts en cristal 
taillé 
draguant avec 
des chaînes d’argent.
Le vol est 

sans danger, 
le climat 
garanti.
Les vagues 

avancent en vers 
par cette belle 
matinée.
Venez à tire-d’aile.

Venez, 

avec le bout 
pointu 
de chaque soulier 
noir
traçant un sillage 

de saphir,
avec une cape 

noire 
emplie d’ailes 
de papillons 
et de bons mots,
avec Dieu 

sait combien 
d’anges 
tous à califourchon
Sur le large bord

 noir 
de votre chapeau,
venez

à tire-d’aile.
Arborant 

un inaudible 
abaque musical,
une moue 

un peu caustique, 
et des rubans 
bleus,
venez

à tire-d’aile.
Faits 

et gratte-ciel
luisent 
dans les flots ; 
Manhattan
est inondé de morale 

par cette belle matinée,
alors venez à tire-d’aile.

Chevauchant 

le ciel avec 
un héroïsme
naturel,
au-dessus 

des accidents, 
des films 
malveillants,
des taxis 

et des injustices 
en liberté,
tandis 

que les klaxons 
résonnent
à vos belles oreilles
qui écoutent 

en même temps
une musique 

tendre inédite, 
digne du porte-musc,
venez à tire-d’aile.

Vous

pour qui les austères 
musées 
se conduiront
en galants 

oiseaux de paradis,
vous 

que les lions 
affables 
guettent
sur les marches 

de la Bibliothèque 
publique,
impatients 

de se lever 
et franchir les portes,
pour vous 

suivre dans les salles 
de lecture,
venez

à tire-d’aile.
Nous pourrons

nous asseoir 
et pleurer; 
nous pourrons 
faire des emplettes.
ou jouer au jeu 

de nous tromper 
sans cesse
en maniant un fabuleux vocabulaire,
ou nous pourrons 

gémir bravement, 
mais venez,
venez à tire-d’aile.

Avec des dynasties 

de constructions 
négatives
qui s’assombrissent 

et meurent 
autour de vous,
avec 

une grammaire 
qui soudain 
vire et brille
comme des bandes 

de bécasseaux 
en vol,
venez à tire-d’aile.

Venez 

comme une lumière
dans le ciel blanc pommelé,
venez 

comme une comète 
diurne
avec un long cortège 

de mots sans nébulosité,
de Brooklyn,

au-dessus du pont 
de Brooklyn, 
par cette belle matinée,

venez à tire-d’aile.




Traduction de Claire Malroux



fracas du monde
ici
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