mardi, juin 21, 2011

Merleau-Ponty, l'oeil et l'esprit.



...l'homme devient vraiment le manipulandum qu'il pense être, on entre dans un régime de culture où il n'y a plus ni vrai ni faux touchant l'homme et l'histoire, dans un sommeil ou un cauchemar dont rien ne saurait le réveiller. Il faut que la pensée de science - pensée de survol, pensée de l'objet en général - se replace dans un " il y a " préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible et du monde ouvré tels qu'ils sont dans notre vie, pour notre corps, non pas ce corps possible dont il est loisible de soutenir qu'il est une machine à information, mais ce corps actuel que j'appelle mien, la sentinelle qui se tient silencieusement sous mes paroles et sous mes actes. Il faut qu'avec mon corps se réveillent les corps associés, les " autres ", qui ne sont pas mes congénères, comme dit la zoologie, mais qui me hantent, que je hante, avec qui je hante, avec qui je hante un seul être actuel, présent, comme jamais animal n'a hanté ceux de son espèce, son territoire ou son milieu. Dans cette historicité primordiale, la pensée allègre et improvisatrice de la science apprendra à s'appesantir sur les choses mêmes et sur soi-même, redeviendra philosophie...



L'oeil et l'esprit est le dernier écrit que Merleau-Ponty put achever de son vivant. Installé, pour deux ou trois mois, dans la campagne provençale, non loin d'Aix, au Tholonet, goûtant le plaisir de ce lieu qu'on sentait fait pour être habité, mais surtout, jouissant chaque jour du paysage qui porte à jamais l'empreinte de l'oeil de Cézanne, Merleau-Ponty ré interroge la vision, en même temps que la peinture. Il cherche, une fois de plus, les mots du commencement,des mots, par exemple, capable de nommer ce qui fait le miracle du corps humain, son inexplicable animation, sitôt noué son dialogue muet avec les autres, le monde et lui-même - et aussi la fragilité de ce miracle.

Claude Lefort.
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