mardi, juin 09, 2009

Caravage, repas à Emmaüs
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Deux minutes et vingt six secondes adorables
d'un extrait du film de Vincent Dieutre
" Leçons de ténèbres "

sur le blog Insula Dulcamara

Qu'est-ce qui résonne ?

Car au bleu école des yeux,
De loin, au tumulte du ciel
Résonne comme le chant du merle
Des nuages la sereine disposition bien
Disposée par l' existence de Dieu, l'orage
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Ce qui résonne, c'est le ciel. Sa voix est la sereine disposition des nuages. Ce qui dispose les nuages dans l'ouvert, c'est justement ce qu'ils abritent en eux : la " plus haute manifestation de l'orage ", l'éclair, le tonnerre, la tempête et les flèches de la pluie. Là-dedans est en retrait la présence du dieu. Même si les nuées d'orage voilent le ciel, elles lui appartiennent et montrent la joie du dieu. C'est pourquoi les nuages sont " bien disposés ", c'est à dire en leur correcte détermination. Dans l'ébauche, on pouvait lire d'abord " des nuages la sûre disposition ". Le mot " sûr " veut dire ici le securum, ce qui est en paix sans souci. Comme ils sont disposés dans leur détermination propre, à savoir d'être le " voile limpide " du ciel à travers quoi il résonne, les nuages sont en paix au milieu de tout tumulte.
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Martin Heidegger
approche de Hölderlin
tel/Gallimard ( P. 214, 215 )
L.A. photographies Juin 2009

Monde

un mot
Terre comme Ciel un bon temps
Vide
pas l'étendue pas la durée suivant mon désir d'un verger d'une éclaircie
un topos paisible
un Lieu un Bon Lieu
soudain
c'est là sous l'oeil
loin dans l'espace près dans le temps
plaisir et vérité sans mesure gonflé de néant de jour et d'étoiles
un teint éclatant
ni pâle ni sombre
rien que vent sur un parfum de thym
la modernité suprême adossée au saule
le pas léger le vent l'instant
le même et incontournable
sur l'herbe le pain et le vin
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Buona Vista par santa rosa ! un champ de Mai, rit val du Printemps, des vergers en logis, le laurier saint et l'airelle parfumée. Vue sur la haute futaie des aunes, la vallée des méditations et ses épines. Gleannaulinn, Ardeevin : Pur éclat du sommet des plaisances.
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Sous le pas avec J.Joyce F.W. folio 2964 p. 409

Le ciel à domicile


Est-on jamais autant " chez soi " que lorsqu'on habite un nuage ? Les miracles se moquent du temps, des lieux. Connaissez-vous la nouvelle ?... L'ici et l'ailleurs se sont rencontrés !- Et où cela ? - Vous n'avez pas vu ?... Là, au fond du jardin !...
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Temps gris, temps clair, aurore, crépuscule, change incessant :
Au grand vide j'ai appris à confier mon humble corps.
Nés de l'origine sans dessein, y retournant sans regret,
Les nuages ressemblent à l'homme qui les contemple.
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Su Dongpo ( 1035-1101)
source François Cheng, Shitao , la saveur du monde.
Phébus

L.A. photographies, Beaufort juin 2009


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Dans l'Extrême-Nord

là où la taïga rejoint la toundra



un arbre

un seul

un pin









parmi les bouleaux nains, les buissons bas des sorbiers couverts de baies aqueuses jaune clair, étonnamment grosses, et les mélèzes vieux de six cents ans qui n'arrivent à maturité qu'au bout de trois cents ans, il y a un arbre spécial : le pin nain. C'est un lointain parent du cèdre (1) , un conifère : un arbuste à aiguilles persistantes avec un tronc à peine plus gros que le poing et long de deux ou trois mètres. Il se contente de peu, ses racines s'agrippent aux fentes de la roche du versant montagneux. Il est vaillant et têtu comme tous les arbres du nord. Il a une incroyable sensibilité. L'automne s'attarde, la neige et l'hiver devraient déjà être là. Des nuages bas, bleu sombre, comme pleins d'ecchymoses, défilent depuis de longues journées au bord de l'horizon tout blanc. Et aujourd'hui, au matin, le vent pénétrant de l'automne est devenu d'un calme menaçant. Est-ce un présage de neige ? Non, il ne neigera pas. Le pin nain ne s'est pas encore couché. Les journées s'écoulent, il n'y a pas de neige, les nuages vagabondent quelques part derrière la montagne, un petit soleil pâle s'est levé dans le ciel immense et c'est toujours l'automne...Mais le pin nain se recourbe. De plus en plus bas, comme sous un fardeau infini, sans cesse grandissant. Il égratigne la pierre de son faîte et se presse contre terre en écartant ses pattes d'émeraude. Il s'aplatit. Il ressemble à une pieuvre avec des plumes vertes. Ainsi couché, il attend un jour ou deux ; le ciel blanc déverse enfin une neige poudreuse et le pin nain s'enfonce dans son hibernation comme un ours. La montagne blanche se couvre de grosses ampoules neigeuses : ce sont les arbustes de pin nain couchés pour l'hiver.

La fin de l'hiver , quand la neige recouvre encore la terre sur une épaisseur de trois mètres, quand les tempêtes ont tassé dans les gorges une neige dure qui ne peut être entamée qu'au fer, les hommes attendent en vain les signes avant-coureurs du printemps, bien que c'en soit déjà l'époque selon le calendrier. Mais la journée ne se distingue en rien d'un jour d'hiver : l'air est coupant et sec comme en janvier . Heureusement, les sensations de l'homme sont trop faibles et sa perception trop simple ; d'ailleurs, il n'a pas beaucoup de sens, il n'en a que cinq, ce qui est tout à fait insuffisant pour la prédiction et la divination. La nature est plus fine que l'homme dans ses sensations. Nous en savons quelque chose. Songez aux saumons qui ne viennent que dans la rivière où a été pondu l'oeuf qui leur a donné naissance. Songez aux routes mystérieuses des migrations d'oiseaux. Les plantes et les fleurs baromètres sont pléthore. Mais voilà que dans la blancheur neigeuse infinie, dans l'entière désespérance, se dresse soudain le pin nain. Il secoue la neige de sa ramure, se redresse de toute sa hauteur et lève vers le ciel ses aiguilles vertes, givrées, à peine roussies. Il entend l'appel du printemps qui ne nous est pas perceptible et, lui faisant confiance, il se redresse, le premier de tous dans le Nord. L'hiver est terminé. Il peut se produire autre chose : quelqu'un allume un feu. Le pin nain est trop confiant. Il déteste tant l'hiver qu'il est prêt à croire en la chaleur d'un feu. Si l'on en fait un en hiver à proximité d'un buisson de pin nain recourbé, tordu pour son hibernation, il se redresse. Le feu s'éteint, et le conifère déçu se courbe à nouveau avec des larmes de dépit et se couche au même endroit. Et la neige l'ensevelit. Non, il n'est pas seulement le prophète du temps. Le pin nain est l'arbre de l'espoir : C'est l'unique arbre à feuilles persistantes de tout le Grand Nord. Dans la neige blanche étincelante, sa ramure d'aiguilles vert mat raconte le Sud, la chaleur, la vie.




























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L' odeur des pins
arrache une aiguillée de larmes sèches
( André Du Bouchet )

un arbre tragique


L.A. photographie, les pins les rochers, juin 2009
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J'ai toujours vu dans le pin un arbre tragique. La torsion dure et violente des branches, la toison dure, les aigrettes de sabres minuscules en guise de feuilles... Aucune concession à la mollesse végétale, mais le goût du terrain sec, caillouteux , de la pierre à fusil, de la vie brûlante, quelque chose de calciné, comme l'incarnation d'une idée sauvage de l'amour...
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Julien Gracq
un beau ténébreux
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" Il faut donner du sens à nos affaires "
François-Henri Pinault
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