dimanche, juin 14, 2009

Limites

à la limite naturelle des montagnes
la terre est parfaitement bleue vue de très loin
si l'on approche elle n'est pas seulement verte et jaune
mais pleine d'un appel étrange comme si
toutes les couleurs franchies venait la couleur première
.
On écoute au milieu des prairies fantaisistes
de l'eau, on voit circuler des oiseaux,
près du jeune cimetière une ombre est favorable :
Ah fais que je ne meure point, Seigneur, sous ce
bandeau !
°
Pierre Jean Jouve
(les noces, 1928)

1 commentaire:

  1. La vue plongeante sur la vallée au Nord est saisissante. Le soleil couchant ensoleille d'or les villages disséminés sur tout le versant Ouest étonnement verdoyant. Les cultures et les prairies s'illuminent de chlorophylle filtrée par les rayons horizontaux. Cette immense cité solaire perchée en altitude est dominée à l'est par une gigantesque falaise pharaonique baignée de lumière d'ombre. La pierre rougie par le feu du soir me parle de la beauté, du mariage entre la matière et la lumière.

    Cette pyramide entre le ciel et terre diffuse chaque soir la grandeur et la force de la nature. Elle dégage aussi cet espèce de fascination inexplicable, insaisissable, contre laquelle on ne peut rien. On ne peut aimer sans être sensible à la beauté. Celui qui sait apprécier les beautés d'une fleur peut découvrir les charmes d'une pierre. Si tu poses une pierre grise à côté de mille autres pierres grises, l'uniformisation de ce pierrier te masquera les charmes de cette pierre grise. Si tu poses cette même pierre grise à côté d'une pierre noire, d’un bleu, d'une verte, d'une blanche et d'une grise... tu comprendras alors que le gris est une couleur aussi belle qu'une autre. Quand on aime, on pénètre, on passe l'alliance à l'univers et on finit par en faire réellement partie.

    Ce soir, je vais attendre la lune comme la femme que j'aime. Depuis que j'ai accédé à l'amour, en moi brillent les étoiles, soufflent les vents, chauffent les sables, rugissent les océans, fleurissent les fleurs. J'ai pénétré toutes choses, chaque matière, chaque ambiance, l'humeur de mille lieux, l'odeur et les saveurs de la terre. C'est ainsi que j'ai appris leur langage. Je converse ainsi avec l'univers qui m'entoure sans jamais m'en lasser.

    Le soleil a gagné d'autres cieux. La faible luminosité me permet tout juste de gagner un abri sous roche, à l'entrée du plateau. Le temps de préparer le thé et déjà l'horizon a mangé la lumière. La nuit noie à présent montagnes et précipices. Plus rien n'a de couleur, plus rien n'a d'altitude. Tout s'est dilué dans cette matière noire, immense. Je m'évade alors dans les étoiles pour une fois de plus faire briller mon imagination en inventant la vie si loin de notre Paradis Terrestre. Ce soir encore, je m'endors, absorbé par l'univers. À l'aube de mes rêves, je m'éveillerai ivre de vie.

    Frédéric Jullien, La traversée du Haut-Atlas en solitaire (2005)

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